L’Europe est la fille de l’Egypte.
On l’oublie souvent dans cet « occident » qui n’existe plus, puisque dilué sur tous les continents, pas plus qu’il n’exista jamais, étant au départ tout à fait oriental.
Ce qui caractérisa l’Egypte antique du point de vue de son organisation collective fut que son prince ou sa princesse, car il y en eut, ne devait son autorité qu’à sa soumission à un ordre divin.
« Ordre » au sens d’harmonie, d’architecture : celui dans l’Egypte initiale de la Maat, désignant l’univers, le cosmos, le tout, dont il est possible qu’à ce jour encore les racine et mots mater, mère, maternité, etc. proviennent.
Ca n’empêchait pas le Pharaon d’avoir tout pouvoir, dirons-nous. En fait, non, pas tout à fait justement : Pharaon était garant de l’ordre cosmique, il devait incarner les valeurs morales de l’au-delà, des dieux, des forces gouvernant cosmos et vies.
Ca n’est pas tout à fait la même chose qu’avoir pleins pouvoirs, de vie et de mort et de tout, sur tout ce qui bouge, pour la raison simple mais compliquée à maintenir qu’on a le pouvoir parce qu’on est le plus fort, le plus violent, le mieux protégé ou le plus cruel.
Ca, ça s’appelle la tyrannie, c’est tout à fait autre chose, en réalité.
Et c’est très important parce que ce trait qui a créé l’Occident est aussi celui qui fit l’Inde, la Chine, le Japon, la Corée, toute l’Afrique, l’Océanie, l’Australie des premiers Peuples.
Et c’est aussi très important parce qu’on retrouve aujourd’hui cette tension entre la résonance avec l’architecture du réel d’un côté et la soumission aux aboiements de l’autre, pour faire court.
Qui donc « se soumet aux aboiements » ? Personne ne l’admettra.
Pourtant, ce personne, c’est nous tous !
Nous acceptons sans sourciller, sans réfléchir, sans compassion ces aboiements continuels dont l’actualité, l’histoire et nos principes moraux collectifs sont tissés : la nation, l’armée, la violence.
Envahir, tuer, répliquer, miner, bombarder, épier, espionner, voilà les aboiements qui nous paraissent normaux, inévitables, souhaitables même.
Or une autre approche est possible : celle de considérer l’ordre du monde, structuré autour du beau, du bon, du bien, du juste.
Cela semble complètement hors-sol, idéaliste, déconnecté, etc.
Mais pas du tout, car pourquoi alors le bitcoin, parti de strictement rien dépasse-t-il aujourd’hui 100 000 dollars, on parle d’1 million pour 2030 ? Pourquoi les marques parviennent-elles à vendre un pull-over à 300 euros, une paire de baskets à 500 euros ? Que recherchons-nous dans les héros et déesses écrivant, littéralement, la fortune de Netflix ou de Disney ?
Cryptomonnaies, jeux vidéos, séries tv, automobiles, produits, services, il n’est pas jusqu’à la moindre brosse à dent qui ne cherche à résonner avec ce bien, ce beau, ce juste, etc., autrement dit avec cette unité structurelle, essentielle, etc., cet infini idéal, innommé mais partout présent, et qui fait vendre.
Pourquoi alors l’oublions-nous en parlant de nations ?
Nous l’oublions parce que nous sommes des idéalistes, pas des réalistes.
Nous idéalisons des concepts invisibles – le nationalisme notamment – qui apportent mort, destruction, pauvreté, faim et terreur. Voilà les fruits de ce concept lorsqu’on l’érige en sommet.
L’Europe fédérale est un petit pas, minimaliste mais indispensable, à conceptualiser, nommer, préparer, espérer, sur le chemin du fédéralisme planétaire.
Le nationalisme est un feu, il est nécessaire : il réchauffe. Fédéral veut dire fédéral, pas bouillie ou soupe.
Ce qu’on fédère, c’est des nations, des peuples, c’est-à-dire nous.
En réalité, la fédération ultime, c’est un lien, une conversation, un respect, etc., entre l’un et le multiple, entre l’individu et l’humanité, entre individualité autonome et collectivité au service de cette autonomie d’identité, de beauté, d’âme, de liberté, de perception.
Pourtant, même un fédéralisme planétaire n’apporterait seul pas la sécurité, la sérénité et donc la prospérité que tout être humain sait être en droit d’attendre.
Ce qui l’apportera, c’est notre résonance au beau, au bien, au juste. Cette résonance, c’est notre responsabilité, pas celle des autres.
Ces mots semblent idéaux, oui, ils le sont, mais ils sont aussi déjà au coeur de nos vies. Dans la vie réelle, on s’efforce toutes et tous de mettre un peu plus de beauté, de bonté, de justice dans ce qu’on fait, tout le temps, juste tout le temps, dans tout ce qu’on fait, en réalité.
On y réussit plus ou moins, oui, ça, c’est vrai aussi, bien sûr, mais c’est aussi ce qui fait le charme de la vie !
C’est ce qu’on devrait faire à l’échelle de la vie entre nations : faire de notre mieux, se fédérer autour de ces idéaux pratiqués et praticables, connus et espérés. Le reste importe peu.
Sinon, reste la tyrannie.
On connait aussi, c’est moins fun, simplement.